Cet article s’inscrit dans le contexte des transformations profondes que connaît le droit public contemporain, sous l’influence de la mondialisation économique et de l’accélération des flux d’investissements étrangers. Ces mutations ont conduit à une reconsidération des mécanismes traditionnels de règlement des litiges impliquant l’État1.
Entre les impératifs de protection de la souveraineté nationale et la garantie de continuité des services publics d’une part, et la nécessité d’offrir un climat juridique sûr et attractif pour l’investissement d’autre part, l’arbitrage dans le contrat administratif international a émergé comme une option juridique centrale. Il s’impose par la force de la pratique internationale et exige une approche équilibrée, fondée sur des textes juridiques ratifiés, une jurisprudence stable et des expériences comparées bien établies2.
Le Contexte Économique et le Recours à l’Arbitrage
Au cours des dernières décennies, l’économie mondiale a connu une transformation structurelle incitant les États, y compris les pays en développement et émergents, à conclure des contrats à caractère administratif avec des entreprises étrangères. Ces contrats visent la réalisation de grands projets stratégiques dans les domaines de l’énergie, des infrastructures, des transports, et de la technologie3.
Dans ce cadre, l’arbitrage est devenu le moyen privilégié de résolution des conflits, en raison de la neutralité relative qu’il offre, de la célérité du jugement et de l’exécutabilité des sentences au niveau international, notamment face à la réticence de l’investisseur étranger à recourir aux juridictions de l’État contractant4.
Définition et Nature Juridique
Toutefois, cette tendance soulève des questions juridiques délicates, compte tenu de la spécificité du contrat administratif, de son lien direct avec l’intérêt général et des prérogatives de puissance publique5.
Le contrat administratif international est défini, selon la doctrine et la jurisprudence, comme le contrat dont l’une des parties est une personne morale de droit public, visant à gérer un service public ou à réaliser une utilité publique, et comportant un élément d’extranéité lui conférant un caractère international (nationalité du contractant, lieu d’exécution, source de financement ou loi applicable)6.
Ce contrat se distingue par une double nature juridique : il est soumis, d’une part, aux règles du droit administratif national (incluant les prérogatives exorbitantes de l’administration) et se rattache, d’autre part, aux principes du droit international de l’investissement et du commerce international, ce qui impacte directement le régime de règlement des litiges qui en découlent7.
Évolution Législative et Cadre Conventionnel
Historiquement, la position de nombreuses législations, notamment celles influencées par l’école française traditionnelle, se caractérisait par le refus de recourir à l’arbitrage dans les contrats administratifs. Ce refus se fondait sur l’interdiction de renoncer à la compétence juridictionnelle nationale et sur le fait que certains contrats touchent à la souveraineté et à l’ordre public administratif8.
Cependant, cette position a connu une évolution progressive face aux exigences de l’investissement international. La plupart des législations modernes tendent désormais à admettre l’arbitrage dans les contrats administratifs à dimension internationale, tout en le soumettant à des conditions strictes9. Cette orientation est visible en droit français après les réformes de l’arbitrage, dans la législation égyptienne, ainsi que dans les lois de plusieurs pays arabes, où l’arbitrage est accepté sous réserve d’une autorisation de l’autorité gouvernementale compétente, afin de protéger l’intérêt général10.
Cette tendance législative a été renforcée par l’adhésion massive des États aux conventions internationales, notamment la Convention de New York de 1958 sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères et la Convention de Washington de 1965 instituant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI/ICSID). Ces conventions offrent un cadre juridique international reconnu et des garanties procédurales tant pour l’investisseur que pour l’État11. On observe que l’acceptabilité de l’arbitrage est d’autant plus grande qu’il s’agit d’un contrat administratif à caractère international, lié à la crédibilité de l’État dans le respect de ses engagements internationaux12.
Spécificités et Défis de l’Arbitrage Administratif
Malgré ses avantages, l’application de l’arbitrage aux contrats administratifs reste régie par les particularités de ce type de contrats13.
Selon une jurisprudence et une doctrine constantes, certaines questions relèvent du cœur de l’ordre public administratif et ne peuvent être soumises à l’arbitrage, telles que les décisions de résiliation pour motif d’intérêt général, la modification unilatérale des clauses du contrat, ou les mesures organisationnelles à caractère souverain14.
La question de la loi applicable pose également problème : l’État insiste souvent sur l’application de son droit national (expression de sa souveraineté), tandis que l’investisseur s’attache aux principes généraux du droit ou à la Lex Mercatoria. Cela nécessite une rédaction précise de la convention d’arbitrage pour éviter les conflits d’interprétation15.
L’Exécution des Sentences et l’Immunité
L’exécution des sentences arbitrales contre les États se heurte souvent au principe de l’immunité d’exécution, qui interdit la saisie des fonds publics affectés au service public ; un principe ancré en droit international public et dans de nombreuses législations nationales16. Toutefois, la pratique internationale distingue les fonds publics à caractère souverain des fonds à caractère commercial (saisissables), notamment s’ils sont situés hors du territoire national, établissant ainsi un équilibre entre respect de la souveraineté et efficacité de l’arbitrage17.
Dans le cadre des litiges d’investissement, le CIRDI joue un rôle pivot en offrant un cadre de protection contre les mesures arbitraires (expropriation directe ou indirecte, manquement grave aux obligations contractuelles)18. Les sentences du CIRDI sont définitives, obligatoires et exécutoires sans procédure d’exequatur, conformément à la Convention de Washington, ce qui renforce la confiance et limite les litiges liés à l’exécution19.
Perspectives et Conclusion
Des défis demeurent, notamment le déséquilibre entre l’État (qui possède le pouvoir législatif) et l’investisseur. Pour y remédier, des mécanismes tels que la clause de stabilisation législative ou la clause de rétablissement de l’équilibre financier ont été adoptés20. De plus, la question de la transparence se pose avec acuité, car ces contrats engagent des deniers publics, justifiant les appels à la publication des sentences sans porter atteinte au secret des données sensibles21.
En conclusion, l’arbitrage dans le contrat administratif international n’est plus perçu comme une atteinte à la souveraineté, mais comme un outil moderne de gestion des risques et d’attraction des investissements, à condition d’être encadré par un dispositif contractuel rigoureux basé sur des textes ratifiés22. Une ingénierie précise de la convention d’arbitrage et la qualification des compétences juridiques nationales constituent la garantie fondamentale pour concilier protection de l’intérêt général et stabilité du climat d’investissement, faisant de l’arbitrage un levier de développement économique plutôt qu’une source de risques23.
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